Après la « pénalité maternelle », celle de la ménopause
Nouveau Départ, Nouveau Travail #27 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
En 2024, la pénalité salariale liée à la maternité n'est plus un secret : les femmes perdent en moyenne 20 à 40% de leurs revenus dans les dix ans suivant la naissance d'un enfant. Mais une nouvelle étude britannique révèle qu'une autre pénalité financière attend les femmes plus tard dans leur vie professionnelle : celle liée à la ménopause.
D'après cette étude menée par des économistes de l'University College London, de l'Université de Bergen, de Stanford et de l'Université du Delaware, les femmes subissent une réduction moyenne de 4,3% de leurs revenus dans les quatre années suivant un diagnostic de ménopause. Cette pénalité s'aggrave avec le temps, atteignant 10% la quatrième année.
Comme l'explique Gabriella Conti, professeure à l'UCL et l’une des autrices de l'étude citée : « Quand vous avez cette variété de symptômes – fatigue, maux de tête, migraines, stress, dépression – vous n'êtes probablement pas en mesure de travailler aussi bien qu'avant. Vous ne vous sentez pas aussi bien, et votre productivité peut ne pas être aussi élevée qu'auparavant. » La baisse des revenus pendant la ménopause est principalement due à une réduction du temps de travail. La probabilité de demander des prestations d'assurance invalidité augmente de 4,8% au cours des quatre années suivant un diagnostic de ménopause.
Elle s'ajoute à d'autres pénalités
La pénalité maternelle (à propos de laquelle j’avais écrit un article pour Welcome to the Jungle en 2021) peut représenter une perte allant jusqu'à 500 000 dollars sur une carrière de 30 ans. Elle affecte pratiquement toutes les mères dans le milieu professionnel, même celles qui n'ont jamais interrompu leur carrière.
La charge de l'aidance constitue un autre fardeau économique (voir cette excellente note de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes). Elle touche principalement les femmes de cette tranche d'âge, souvent prises en étau entre les soins aux enfants et aux parents vieillissants, ce que les sociologues appellent la « génération sandwich ».
En parallèle, le plafond de verre se trouve renforcé par l'âgisme, créant une double discrimination particulièrement insidieuse pour les femmes de plus de 45 ans qui cherchent à progresser dans leur carrière.
Comment distinguer la pénalité de la ménopause de l'âgisme ?
Je me pose cette question : comment distinguer ce qui relève spécifiquement de la ménopause de ce qui découle de l'âgisme et du sexisme combinés, particulièrement présents dans le monde professionnel ? La frontière est souvent floue entre ces phénomènes qui se renforcent mutuellement. En effet, l'âgisme s’exprime dans une dévalorisation systémique qui touche de nombreuses femmes, qu'elles traversent ou non une ménopause symptomatique.
La pénalité de la ménopause, quant à elle, concerne spécifiquement l'impact des symptômes physiques et psychologiques sur la capacité de travail. Certaines femmes ne ressentent que peu d'effets, tandis que d'autres voient leur quotidien professionnel sérieusement perturbé. L'étude se concentre d'ailleurs sur les femmes ayant reçu un diagnostic médical, suggérant des symptômes suffisamment significatifs pour consulter.
En pratique, ces deux phénomènes se mélangent. Une femme peut simultanément subir la dévaluation liée à son âge apparent et les conséquences de symptômes invalidants. Les stéréotypes négatifs associés à la ménopause viennent renforcer les préjugés âgistes déjà existants.
Ce n’est pas un hasard si les inégalités économiques se creusent avec l'âge. L'impact économique cumulé de ces différentes pénalités est considérable. Plus les femmes avancent en âge, plus les inégalités de richesse entre les sexes s'accentuent. C’est d’ailleurs l’un des points de départ du podcast Vieilles en puissance que j’ai lancé avec Caroline Taconet et Katerina Zekopoulos. À la retraite, l'écart moyen entre les pensions des femmes et des hommes dépasse 40% en France (pour les pensions de droit direct).
Au travail, les symptômes de la ménopause peuvent être invalidants
La ménopause, qui concerne environ 17 millions de Françaises, peut se manifester par divers symptômes qui affectent la vie professionnelle : bouffées de chaleur, troubles du sommeil, sautes d'humeur, problèmes de concentration, fatigue chronique. Les conséquences sont parfois radicales : « On s'accommode que des femmes refusent une promotion, quittent leur emploi ou partent en retraite anticipée, avec des coûts importants pour les entreprises, » note le récent rapport parlementaire français sur le sujet.
Les femmes sans diplôme universitaire et celles aux revenus déjà faibles sont les plus touchées par cette pénalité. « Les femmes diplômées tendent en moyenne à être mieux informées des symptômes de la ménopause et plus conscientes de leurs options de traitement, » observe Gabriella Conti. De plus, elles bénéficient souvent de conditions de travail qui font plus de place à l’autonomie et leur permettent de télétravailler davantage, par exemple.
Parlons des traitements !
Le discours actuel sur la ménopause présente un paradoxe troublant. D'un côté, j’observe une tendance à la « pathologisation » excessive, attribuant à la ménopause seule des difficultés qui relèvent souvent d'un ensemble de facteurs propres au milieu de vie : séparations, deuils, charge d'aidance, problèmes avec les enfants adolescents, usure professionnelle.
De l'autre côté, je constate un « oubli » fréquent et préoccupant des traitements hormonaux qui pourraient soulager de nombreuses femmes. Le traitement hormonal de la ménopause (THM) a bénéficié à seulement 2,5% des femmes ménopausées en 2024, un chiffre qui s'est effondré comparé au début des années 2000. La méfiance envers les THM vient d'une étude datant de 2002, qui liait ces traitements à un risque accru de cancer du sein, dont les résultats ont depuis été largement critiqués par la communauté scientifique. Cette dernière admet aujourd’hui que l'étude a généré une peur infondée. On devrait donc en parler bien davantage et proposer ces traitements aux femmes dont les symptômes sont handicapants.
Des solutions pour sortir de l’invisibilité, il y en a !
Au niveau politique :
Un rapport parlementaire présenté en avril 2025 propose 25 mesures pour faire de la ménopause une priorité de santé publique. Parmi les idées les plus utiles : intégrer la ménopause dans la visite médicale de mi-carrière à 45 ans, créer un « parcours individualisé » de soin, et permettre aux sages-femmes de prescrire des traitements hormonaux dans les cas simples. Mais il faut aller plus loin : financer massivement la recherche sur le corps des femmes – y compris celles de plus de 50 ans – longtemps ignoré par la médecine. Et reconnaître enfin que la ménopause est aussi un sujet de justice sociale et d’égalité.
Au niveau des entreprises :
Trop peu d’organisations s’emparent du sujet. Pourtant, il est temps de former les managers, adapter les rythmes et les conditions de travail, offrir plus d’autonomie, et briser les tabous. Certaines entreprises commencent à bouger, comme CVS aux États-Unis, labellisée menopause friendly. Mais ce n’est qu’un début. Il faut aussi combattre l’âgisme rampant qui pousse tant de femmes à quitter ou à cacher leurs difficultés. (Être une organisation menopause-friendly, c’est reconnaître les effets de la ménopause sur la vie professionnelle et adapter l’environnement de travail en conséquence. Cela passe par des formations, de la flexibilité, des ressources pour les salariées concernées et une culture qui brise les tabous.)
Au niveau individuel :
S’informer, parler, ne pas minimiser ses symptômes. Échanger avec des pros de santé bien formé·es, bâtir un réseau de soutien, et anticiper financièrement cette période souvent peu prise en compte. Mais surtout : ne pas porter seule une charge que la société se refuse encore trop souvent à reconnaître.
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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