✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Laure Dodier, chantre du Slowpreneuriat, m’a fait l’honneur de me demander de préfacer son livre Exploite ta zone de confort, qui sort chez Eyrolles très bientôt 📚 Je vous partage ici la préface que j’ai écrite pour elle…
Depuis des années, nous sommes inondés de l’injonction à « sortir de notre zone de confort », devenue presque un slogan. Cet impératif, aussi bien ancré dans le langage courant que dans les discours de développement personnel, a fini par m’agacer, sans que je n’aie jamais vraiment pris le temps de questionner en profondeur ce qu’il signifiait. Après tout, n’est-il pas contradictoire de bâtir sa vie sur des bases de confort et de stabilité tout en entretenant un discours qui nous pousse constamment vers l’inconfort, voire la souffrance ?
Quand Laure Dodier m’a parlé de son projet de livre, Exploite ta zone de confort, son approche m’a immédiatement séduite par son originalité, presque dissidente, tant elle est en décalage avec cette norme imposée. Son invitation à réhabiliter la zone de confort est rafraîchissante et, surtout, parfaitement en phase avec la vision d’un épanouissement professionnel soutenable. Et il va bien falloir que notre vie professionnelle soit soutenable car nous travaillerons nettement plus longtemps que nos aînés avant de partir à la retraite !
J’en suis intimement convaincue : cette association quasi automatique entre réussite et effort acharné et « sacrificiel », est profondément délétère. Il faut « souffrir pour réussir », entendre par là travailler 80 heures par semaine et sacrifier bien-être et vie personnelle pour atteindre un but professionnel. Quelle perspective peu réjouissante ! Avec une telle conception de la réussite, on en arrive à ne plus vouloir « réussir » du tout, au risque d’abandonner toute ambition de peur d’en payer le prix.
Dans le monde du travail salarié, certains emplois, les emplois « cupides » (greedy jobs) concentrent les exigences les plus écrasantes en temps et en énergie : postes de dirigeants, d’avocats, de chirurgiens, de consultants... On les associe à la réussite, en haut de l’échelle sociale. Mais ces postes valorisés imposent un rythme qui exclut. Ils perpétuent des codes de la « méritocratie » basés sur l’endurance, mais la réalité est qu’ils s’érigent comme des barrières quasi infranchissables pour une large majorité, notamment pour ceux et celles qui assument des responsabilités familiales. La norme de l’engagement absolu au travail est profondément inégalitaire : elle favorise ceux et celles qui peuvent se permettre de se dédier corps et âme à leur carrière. Et ce sont souvent les femmes, investies dans le care (soins aux proches, enfants ou parents), qui renoncent, exclues de cette course effrénée. L’impact sur les inégalités de genre est bien réel et massif.
Pourtant, la réussite et l’ambition devraient pouvoir être compatibles avec une vie équilibrée, respectueuse de notre santé, de notre temps, et de notre bien-être. Dans le monde de l’entrepreneuriat, ce décalage peut se ressentir encore davantage, car, en théorie, l’indépendant est maître de son temps. N’est-ce pas l’idée même de l’entrepreneuriat : liberté et autonomie ? Et pourtant, comme Laure l’explique brillamment, même les indépendants n’échappent pas à l’injonction insidieuse de l’inconfort comme condition de réussite. Elle le rappelle d’ailleurs sans détours : la croyance selon laquelle il faut être dans l’inconfort pour réussir a la vie dure et « de cette croyance découle une injonction, c’est-à-dire une pression sociale à agir. »
Notre société n’a pas simplement valorisé l’inconfort, elle en a fait un critère de légitimité. Les codes qui régissent le monde du travail, que ce soit pour les salariés ou les indépendants, sont des codes hérités d’une culture viriliste. Ils valorisent la compétition, la douleur, la force, et même la violence, une mentalité qui s’est construite sur des siècles de domination masculine où ceux qui travaillaient pouvaient se dédier à la tâche grâce à une « infrastructure » familiale (le plus souvent féminine) prenant en charge enfants, aînés, et communautés. Ces valeurs ne font pourtant plus sens dans une société qui cherche à se réinventer, qui veut davantage de justice et de durabilité.
Comme Laure, je ressens une forme de violence dans cette condamnation sans nuance du confort. Comme si refuser de souffrir était une faiblesse, comme si cultiver le bien-être au travail signifiait renoncer à toute ambition. Pourtant, nous vivons déjà dans une société saturée de tensions : stress, pression, violence intérieure et extérieure… et cela se reflète dans nos vies. Nous dormons moins bien, notre santé en souffre, et nos capacités cognitives et créatives s’affaiblissent. Car oui, l’inconfort constant nous handicape. Il ne nous renforce pas, il nous épuise. L’anxiété chronique est une paralysie : elle étouffe notre potentiel.
Ce livre est donc une invitation à prendre un chemin différent. Laure Dodier propose un parcours accessible, à contre-courant des dogmes de la souffrance productive. Exploite ta zone de confort nous montre que « la zone de confort est un équilibre de quatre éléments pour chaque entrepreneur : la bonne santé, l’exploitation de son fonctionnement naturel et de ses talents, et la fluidité dans le quotidien professionnel. » Un équilibre, un ancrage, d’où émerge un travail plus serein, plus durable, et plus inspiré.
Alors, plutôt que de chercher la performance dans la douleur, pourquoi ne pas envisager d’exploiter la richesse de notre zone de confort ? C’est ce que Laure Dodier nous invite à faire, et c’est une leçon précieuse. Ce livre est une belle opportunité de redéfinir la réussite pour soi, en harmonie avec nos aspirations, nos talents, et notre bien-être. Puissiez-vous, grâce à cet ouvrage, trouver votre voie dans votre propre zone de confort et bâtir une réussite à votre image.
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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Enfin oser dénoncer cette injonction toxique qu'on voit partout !!! Merci mille fois
Merci Laetitia pour ce contre-pied à cette sacro-sainte expression ! J'ai une longue liste de personnes à qui je vais recommander la lecture de ta newsletter et ce livre 😉