✍️ Nouveau Départ, Nouveaux Défis analyse les transformations qui refaçonnent l’économie et la géopolitique. Face à la transition numérique, énergétique et démographique, ainsi qu’aux tensions mondiales, cette série éclaire les défis d’aujourd’hui et de demain. Entre tendances globales et impacts locaux, elle aide à mieux anticiper les ruptures et saisir les opportunités. L’objectif est de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Pendant que la Chine construit l'équivalent de tout le réseau électrique américain chaque année et que les États-Unis subissent les rigueurs de la désindustrialisation, la France possède un atout stratégique que le monde entier nous envie : notre infrastructure nucléaire. Malheureusement, nous semblons avoir oublié que nous les Français avons réalisé l'un des plus grands exploits industriels de l'histoire moderne.
Entre 1969 et 1986, la France a construit 58 réacteurs nucléaires, en quinze ans à peine. Aucun autre pays n'a jamais égalé ce rythme. Nous sommes passés d'une dépendance quasi-totale au pétrole importé… à 75% d'électricité nucléaire. Pendant que d'autres nations tergiversaient, la France déployait une machine industrielle standardisée et faisaient sortir de terre des centrales nucléaires à un rythme comparable à celui des meilleures chaînes d’assemblage.
Cette réussite n'était pas un accident. Elle reposait sur trois piliers institutionnels que nous ferions bien de redécouvrir. D'abord, le corps des mines, qui recrutait à l’époque les meilleurs élèves de l’École polytechinque, assurait la continuité technocratique par-delà les changements de gouvernement. Ensuite, EDF, entreprise nationale créée à la Libération, intégrait production et distribution sous une direction unifiée. Enfin, le consortium Eurodif garantissait l'autonomie industrielle de la filière d'enrichissement de l'uranium. Ces institutions créaient la continuité nécessaire pour traiter les réacteurs comme des produits industriels, non comme des projets uniques.
Aujourd'hui, cette infrastructure nous place dans une position unique face à l’évolution des technologies numériques. L'intelligence artificielle consomme des quantités d'électricité astronomiques. L'entraînement de GPT-4 a nécessité 50 gigawattheures d'électricité – la consommation annuelle d'une ville de 20 000 habitants. Les modèles de nouvelle génération exigeront 10 à 100 fois plus d'énergie.
Microsoft a fait l’acquisition de la centrale nucléaire de Three Mile Island pour alimenter ses centres de données. Aux États-Unis, les prix de l'électricité ont augmenté de 9% par an dans la période récente, quatre fois plus vite que l'inflation. Les centres de données consomment déjà 4,4% de l'électricité américaine et devraient atteindre 12% d'ici 2028.
Cette explosion de la demande énergétique transforme l'électricité d'une simple commodité en avantage stratégique. Les pays qui maîtrisent la production d'électricité détermineront qui gagnera la course à l'IA. La Chine l'a compris et construit méthodiquement ce que le Financial Times appelle le premier “électro-État” au monde, avec 60% de sa nouvelle capacité de production issue du renouvelable.
Pendant ce temps, l'administration Trump bloque les projets solaires et éoliens, par pure idéologie… tout en promettant que les États-Unis sont voués à dominer l’intelligence artificielle. Cette contradiction révèle l'aveuglement d'un pays qui refuse d'investir dans l'infrastructure énergétique du futur, tout en poursuivant le développement des technologies qui en dépendent le plus.
Dans ce contexte géopolitique pour le moins inattendu, la France dispose d'un avantage considérable. Notre parc nucléaire fournit une électricité bas carbone, fiable et abondante. Contrairement au solaire et à l'éolien, le nucléaire offre une production constante, indépendante des conditions météorologiques. Cette stabilité devient cruciale pour les centres de données qui ne peuvent se permettre d'interruptions.
L'opportunité dépasse le seul secteur de l’intelligence artificielle. Le réveil industriel que nous observons partout en Occident nécessite une électrification massive. Les véhicules électriques, la production d'hydrogène vert, la sidérurgie décarbonée… : tous ces secteurs stratégiques dépendent d'un accès fiable à l'électricité bas carbone.
Pourtant, nous gâchons cet avantage par manque de vision stratégique. Au lieu de construire sur notre excellence nucléaire, nous nous enlisons dans des débats idéologiques sur la transition énergétique. Nous fermons Fessenheim par pur symbole politique. Nous tardons à lancer de nouveaux projets alors que la demande explose.
Le programme nucléaire français des années 1970 offre pourtant des leçons cruciales pour aujourd'hui. Le succès reposait sur la standardisation qui permettait l'effet d'échelle, la production continue qui préservait l'expertise et le consensus politique qui soutenait les projets sur plusieurs décennies.
Ces principes s'appliquent parfaitement aux défis actuels. La France possède déjà l'expertise industrielle et l'infrastructure pour étendre son parc nucléaire existant. Plutôt que de miser sur des technologies hypothétiques, nous devrions capitaliser sur notre savoir-faire éprouvé pour construire de nouveaux réacteurs basés sur nos designs maîtrisés.
L'enjeu dépasse la politique énergétique. Il s'agit de notre positionnement dans la nouvelle géopolitique technologique. Pendant que la Chine et les États-Unis se disputent la suprématie numérique, l'Europe peut jouer la carte de l'infrastructure énergétique. Notre expertise nucléaire, combinée au marché européen, nous donne les moyens de devenir le centre manufacturier bas carbone du monde développé.
Cela étant dit, la fenêtre d'opportunité se referme rapidement. Chaque mois de retard permet à nos concurrents, à commencer par la Chine elle-même, d'accumuler plus d'avance. La France doit donc retrouver l'ambition industrielle qui fit le succès de son programme nucléaire. L'électricité déterminera les nations qui domineront l'économie de demain. Nous avons toutes les cartes en main – à nous de jouer !
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