La pénibilité du travail des femmes, toujours invisibilisée
Nouveau Départ, Nouveau Travail #36 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
L’invisibilisation de la pénibilité du travail des femmes reste largement ignorée dans les discussions sur le travail. Si la pénibilité a été brièvement évoquée lors des débats sur la réforme des retraites, les réalités vécues par les femmes continuent d’être négligées.
Dans de nombreux métiers à prédominance féminine — soins, nettoyage, éducation, vente — les contraintes physiques et mentales sont pourtant lourdes, et les risques de maladies professionnelles élevés. Troubles musculo-squelettiques (TMS), pathologies liées aux postures contraignantes, charge émotionnelle intense : autant de dimensions qui échappent encore aux critères officiels de reconnaissance de la pénibilité. La législation, pensée pour des métiers souvent masculins, reste aveugle aux formes de pénibilité spécifiques aux femmes.
Le 12 juin, nous avons publié avec la Fondation des femmes « Le coût de la séniorité des femmes », une note qui met en lumière le paradoxe de la mi-vie féminine. À l'âge où les femmes atteignent leur pleine maturité professionnelle, la société les rend invisibles : évincées des sommets, cantonnées dans la précarité, "ni en emploi ni en retraite". Cette note révèle les ressorts d'une discrimination systémique qui prépare la pauvreté des retraitées de demain et dévoile comment l'angle mort de la santé au travail des femmes nourrit leur précarité future.
Le travail des femmes est pénible physiquement et psychologiquement
Les femmes, en particulier celles occupant des emplois à faibles qualifications ou des postes précaires, sont souvent soumises à une pénibilité invisible. Ce phénomène est d'autant plus flagrant dans les métiers de service, où elles doivent réaliser des tâches répétitives dans des conditions qui les exposent à des risques physiques importants.
En effet, selon une étude menée par la DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques), les femmes sont plus touchées par les troubles musculo-squelettiques (TMS), notamment au niveau des poignets, des épaules et du dos. Ces maladies, liées à des gestes répétitifs ou à des postures contraignantes, sont parmi les pathologies professionnelles les plus courantes. Par exemple, les tendinites et les douleurs lombaires sont fréquentes parmi les femmes travaillant dans des secteurs où l'effort physique est constant, mais non pris en compte dans les évaluations officielles de la pénibilité.
Les femmes sont aussi plus exposées aux maladies professionnelles en raison de la précarité de leur emploi. En raison de leur surreprésentation dans les secteurs à bas salaires, elles sont souvent contraintes de faire face à des conditions de travail plus difficiles, avec moins de possibilités d'accès à des dispositifs de prévention ou de compensation de la pénibilité.
L'augmentation des accidents du travail chez les femmes
Un autre aspect alarmant de la pénibilité invisible concerne les accidents du travail. Là encore, les femmes, dans certaines catégories professionnelles, sont plus touchées que les hommes. Alors que l’on associe souvent les accidents du travail aux secteurs industriels, un certain nombre de femmes exerçant dans des métiers dits « de service » ou « de soin » sont confrontées à des risques accrus.
Les statistiques montrent que l’incidence des accidents du travail a augmenté chez les femmes ces dernières années, notamment dans les secteurs de la santé, du nettoyage et de la distribution. Une étude de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) révèle que les accidents du travail liés aux chutes, aux gestes répétitifs et aux troubles musculaires touchent davantage les femmes que les hommes dans ces secteurs. Pourtant, ces accidents sont rarement associés à des politiques de prévention adaptées, et les risques liés à ces métiers ne sont pas toujours pris en compte dans les dispositifs de compensation de la pénibilité.
Reconnaître cette pénibilité pour plus de justice sociale
Un des grands défis réside dans la reconnaissance de cette pénibilité et la mise en place de dispositifs de compensation. Si des mesures de prévention existent dans certains secteurs, elles sont insuffisantes pour répondre aux spécificités des femmes dans le travail. La pénibilité au travail est souvent vue comme une question masculine, ce qui laisse de côté les contraintes et les risques spécifiques rencontrés par les femmes.
👉 Lire la note de la Fondation des femmes
Il existe un décalage entre la réalité vécue au travail et les critères de reconnaissance de la pénibilité. Horaires de travail, tâches physiques lourdes, ou expositions à des agents chimiques, ils ne tiennent pas compte des conditions de travail spécifiques dans les secteurs majoritairement féminins. Or, dans ces secteurs, les femmes subissent une pénibilité psychologique et émotionnelle importante, en raison de la surcharge de travail, du manque de reconnaissance et de la pression constante, notamment dans les métiers de soins. Même quand les difficultés sont purement physiques, elles ne sont pas bien appréhendées.
Les contraintes physiques pourtant bien réelles dans les métiers principalement exercés par des femmes sont invisibilisées : soulever un bébé 50 fois par jour dans une crèche n'est pas considéré comme lever une charge lourde, aider une personne âgée dépendante à se lever, à s'asseoir, à se déplacer, la retourner dans son lit, non plus. L'exposition aux produits chimiques est évaluée selon des normes industrielles : l'eau de Javel n'est pas considérée comme un produit chimique dangereux donc l’exposition dans les métiers du nettoyage et du soin n’est pas prise en compte. Pourtant, le dos de ces femmes, les cancers de ces femmes montrent qu’il y a de la pénibilité.
Cette invisibilisation a des conséquences concrètes. Les femmes représentent une part importante des personnes déclarées en « inaptitude professionnelle », ce qui permet de les licencier.
La réflexion sur la pénibilité révèle ainsi un double mécanisme d'invisibilisation : celui des tâches considérées comme « naturellement » féminines, donc non valorisées, et celui des atteintes à la santé spécifiques aux métiers féminisés, non reconnues par les critères officiels. (Bruno Palier pour la note de la Fondation des femmes)
En outre, les femmes sont souvent confrontées à des violences psychologiques ou sexistes dans leur environnement professionnel, ce qui alourdit encore la pénibilité de leur travail. Pourtant, ces aspects ne sont pas intégrés dans la définition de la pénibilité au travail.
Il serait essentiel de réévaluer la façon dont la pénibilité est mesurée et prise en compte. Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C2P) pourrait être élargi pour mieux intégrer les risques liés aux conditions de travail féminines, telles que les TMS, les maladies professionnelles et les accidents du travail.
L’invisibilisation de la pénibilité du travail des femmes constitue un frein à la justice sociale. Cela a des conséquences directes sur la santé des travailleuses, sur leur qualité de vie et sur leur capacité à s’épanouir professionnellement.
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