Le design universel : l’inclusion comme choix de conception
Nouveau Départ, Nouveau Travail #57 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Du 17 au 23 novembre 2025, c’est la Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées (SEEPH). Chaque année, cette semaine rappelle une évidence : notre société n’est pas conçue pour faire la place à la diversité des corps, des rythmes et des parcours. Or les 12 millions de personnes en situation de handicap en France devraient nous inviter à penser le monde du travail autrement. Cela nous permettrait de l’améliorer pour absolument tout le monde.
C’est là que le design universel entre en scène. Un concept majeur, que je développe dans L’Atout âge (paru chez Eyrolles le 2 octobre dernier), dont je suis convaincue qu’il devrait devenir la colonne vertébrale de toutes les politiques RH, de tous les espaces de travail, de toutes les organisations qui veulent préparer l’avenir du travail.
Qu’est-ce donc que le design universel ?
Il s’agit d’une révolution conceptuelle née dans les années 1980 aux États-Unis, grâce à l’architecte Ronald Mace, lui-même en fauteuil roulant. Son idée était simple : pourquoi concevoir le monde en supposant que tout le monde est jeune, en bonne santé, sans limitations physiques ni sensorielles ? Pourquoi ne pas faire exactement l’inverse : partir des besoins les plus exigeants, pour créer des environnements qui profitent à tous ?
Ce renversement de perspective nous fait passer d’un modèle basé sur la « compensation » (on adapte si nécessaire) à un modèle basé sur l’anticipation et la dignité (on conçoit pour que chacun soit autonome, sans jamais dépendre d’une demande spéciale). Mace n’a pas été le premier à avoir cette intuition. Dès 1963, l’architecte britannique Selwyn Goldsmith, avec Designing for the Disabled, dénonçait déjà la manière dont les espaces urbains fabriquaient de l’exclusion à grande échelle.
Concrètement, le concept de design universel nous est familier sans forcément qu’on le sache. Ce sont les poignées de porte faciles à presser, les sous-titres des vidéos, les trottoirs abaissés, les textes contrastés… et beaucoup d’autres « détails » de la vie de tous les jours.
Or aujourd’hui, dans un monde qui vieillit, où 4 à 5 générations cohabitent au travail, où la fatigue cognitive augmente et où les TMS explosent… le design universel devrait être vu comme une urgence stratégique dans l’organisation du travail.
Concevoir pour les plus vulnérables, c’est améliorer la vie de tout le monde
L’un des grands malentendus sur le design universel, c’est de croire qu’il ne concerne « que » les personnes en situation de handicap. En réalité, c’est exactement l’inverse. C’est une approche universaliste, parce qu’elle touche à des besoins humains très généraux : ne pas avoir mal en travaillant, ne pas être perdu dans une signalétique illisible, ne pas être ébloui par une lumière mal pensée, ne pas finir la journée avec des acouphènes, pouvoir se reposer, pouvoir entendre son interlocuteur, pouvoir se concentrer… On parle donc ici de conditions de travail au sens le plus large possible.
Et ces discussions sur les conditions de travail profitent à tout le monde. Les personnes qui vieillissent, bien sûr, plus sensibles à la fatigue sensorielle et aux douleurs articulaires. Mais aussi les jeunes salariés, épuisés par les open spaces saturés de bruit. Les femmes enceintes, les travailleurs neuroatypiques, les personnes sujettes aux migraines, les salariés qui récupèrent d’une blessure ou d’une maladie… Et finalement chaque personne qui a déjà eu mal à la tête ou au dos après une journée de travail éreintante.
Le design universel offre des espaces où l’on peut travailler bien, longtemps, sans s’abîmer. Et il dé-stigmatise. Là où l’adaptation individuelle isole (« ah oui, ce fauteuil c’est pour lui…»), le design universel généralise et normalise (« ah cool, c’est plus confortable pour tout le monde ! »).
Concrètement, un espace de travail en design universel, ça ressemble à quoi ?
Le design universel repose sur plusieurs piliers, qui dessinent ensemble un cadre de travail plus durable.
Des circulations fluides et évidentes : pas de marches cachées, pas de couloirs encombrés, pas d’angles morts. Des sols réguliers, une signalétique lisible, des contrastes visuels forts. En somme, un espace où l’on ne se bat pas pour avancer.
Un confort visuel et auditif repensé : Exit la lumière agressive qui donne mal à la tête dès 10h. On fait la place aux réglages individuels, à la modularité et à l’éclairage doux. Côté sonore : matériaux absorbants, salles de réunion bien isolées, espaces silencieux.
Une ergonomie adaptable et non normative : des bureaux réglables en hauteur. Des sièges confortables et ajustables. Des accessoires pour soutenir les poignets, les cervicales, la posture. Mais surtout : le droit de bouger, d’alterner et de s’adapter.
Une gestion intelligente de l’air et de la température : parce que l’inconfort thermique est un ennemi silencieux (je pense notamment aux personnes qui souffrent de bouffées de chaleur). Ventilation, qualité de l’air, végétation intérieure… tout compte.
Une organisation du travail qui fait la place à l’autonomie (et au télétravail) : parce que les personnes en situation de handicap, comme celles qui élèvent seules des enfants ou celles qui sont aidantes, ont besoin de toute la latitude possible pour faire leur travail malgré leurs contraintes de vie.
Quand le design est politique
C’est une manière de reconnaître que les salariés ne sont pas interchangeables. Il y a des corps différents, des histoires différentes, des besoins différents. C’est affirmer une culture du soin — des lieux, des liens et des corps.
Dans un monde du travail où les carrières s’allongent, où les transitions se multiplient, où les métiers évoluent vite, penser ainsi, c’est donc aussi préparer l’avenir car il s’agit de créer des espaces où l’on peut travailler longtemps sans se casser. C’est construire des lieux qui accompagnent la vie, au lieu de la contraindre.
C’est accepter que la norme n’existe pas. Ce qui existe, c’est la diversité humaine, dans toute sa complexité.
👉 Pour aller plus loin, vous pouvez aller écouter ces deux podcasts : Conversation avec Laetitia autour de “L’Atout âge” 🎧 et La chaise tue avec Alexandre Dana 🎧
🎤 Si vous souhaitez inviter Laetitia à intervenir sur l’avenir des espaces de travail ou la conception d’une organisation du travail qui tient compte des défis démographiques, contactez-nous par email : conferences [a] cadrenoir.eu
Le média de la transition
“À deux voix”, nos conversations à bâtons rompus sur l’actualité
Des interviews de personnalités remarquables (écrivains, entrepreneurs…)
Des articles sur le travail et l’économie
Une vision engagée, des clefs pour aller au fond des choses
Nos abonnés : des professionnels et citoyens engagés
Des nouvelles de nos travaux et de nos projets




