Les violences conjugales : un sujet d’entreprise ?
Nouveau Départ, Nouveau Travail #34 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Il y a quelques jours, j’ai assisté à un événement marquant à l’Olympia. Sur scène, Sarah Barukh, entourée de nombreuses personnalités, a pris la parole devant des centaines de dirigeants, DRH et responsables d’entreprise pour lancer officiellement le mouvement « Safe Place ». Malgré la gravité du sujet — les violences conjugales —, la soirée vibrait d’une énergie puissante, portée par l’espoir et la volonté collective de faire bouger les lignes.
Après plusieurs années passées sous l’emprise d’un compagnon violent, Sarah s’est enfuie avec sa fille de 16 mois pour trouver refuge chez ses parents. De cette épreuve, elle a tiré une force exceptionnelle. Son livre 125 et des milliers, dans lequel 125 personnalités racontent l’histoire de femmes tuées par leur conjoint, a marqué le début d’une mobilisation inédite. Le documentaire Vivante(s) (CANAL+), réalisé par Claire Lajeunie, retrace son histoire.
Depuis, Sarah n’a cessé d’agir pour convaincre le monde de l’entreprise de jouer un rôle décisif dans ce combat. Son ambition : transformer les lieux de travail en refuges possibles pour les salarié·es victimes de violences intrafamiliales.
Une réalité qui frappe aux portes de l'entreprise
Les chiffres sont sans appel : 62 % des personnes qui déposent plainte pour violences conjugales sont des salariés. Derrière cette statistique se cache une réalité que les entreprises ne peuvent plus ignorer. Chaque année, 213 000 femmes en moyenne sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint en France, et ces violences ne s'arrêtent pas aux portes du bureau. Sans surprise, cela a aussi un impact délétère sur leur capacité à bien travailler.
L'Association nationale des DRH (ANDRH) n'est pas arrivée par hasard sur ce terrain sensible. Depuis 2023, l'organisation développe des outils concrets pour accompagner les professionnels RH face à cette problématique. Le guide « Violences faites aux femmes : quels rôles pour les DRH et managers ? », fruit d'une collaboration entre ONU Femmes France et l'ANDRH, vise à aider les professionnels des ressources humaines à mieux traiter le sujet dans leurs organisations. L'ANDRH a publié un autre guide pour faire de l'entreprise une “safe place”.
Des mesures concrètes qui ne coûtent (presque) rien
Contrairement aux idées reçues, accompagner les victimes de violences conjugales ne représente pas forcément un investissement financier considérable pour l'entreprise. Audrey Richard (ANDRH) souligne que « donner du temps, prêter une voiture » ou « laisser sur le temps de travail la possibilité à une personne d'aller déposer plainte, concrètement, ça coûte rien ou quasiment rien » pour une entreprise.
Les mesures peuvent inclure :
La flexibilité horaire pour permettre aux victimes de se rendre aux rendez-vous médicaux, juridiques ou administratifs ;
L'aménagement du poste de travail pour éviter les contacts avec l'agresseur ;
L'accompagnement psychologique via les services de santé au travail ;
La mise à disposition de véhicules ou d'aides financières ponctuelles ;
La formation des managers pour reconnaître les signaux faibles.
Pour Audrey Richard, il est essentiel de former les managers et les équipes à repérer les signes de détresse et à savoir reconnaître des signaux faibles. Cette sensibilisation représente un enjeu majeur car les victimes n'osent généralement pas parler spontanément de leur situation.
Quand le monde de l'assurance tient compte des victimes
L'une des avancées les plus remarquables de ce mouvement vient du secteur de l'assurance. AXA France propose désormais dans les contrats d’assurance habitation le relogement d'urgence des victimes de violences conjugales, au même titre qu'après un incendie ou une inondation. Cette innovation, qui concerne deux millions et demi de foyers, représente une première en France.
Alice Holzman, directrice client chez AXA France, précise que la victime n'a pas besoin d'être signataire du contrat d'assurance habitation et qu'il suffit de donner un lieu, un nom pour bénéficier de cette garantie. AXA peut ainsi prendre en charge jusqu'à sept jours d'hébergement avant de passer la main aux associations spécialisées.
Un impact qui dépasse le cadre professionnel
Comme l'explique Sarah Barukh : « Les femmes hésitent des années à partir d'un foyer violent parce qu'elles ont peur de la solitude. Leur dire qu'elles ne sont pas seules, c'est contribuer à leur procurer l'énergie du départ pour une nouvelle vie. »
Cette phrase résume parfaitement l'enjeu du mouvement Safe Place : créer un filet de sécurité qui permet aux victimes de retrouver confiance et autonomie. L'entreprise, lieu où nous passons la majorité de notre temps éveillé, est ainsi un maillon essentiel de cette chaîne de solidarité.
L'objectif affiché par Audrey Richard est ambitieux : « que nous puissions passer de nos convictions personnelles, professionnelles à l'action, tous ensemble, à grande échelle, dans les entreprises ».
Le mouvement Safe Place représente plus qu'une simple initiative de responsabilité sociétale. En donnant aux victimes de violences conjugales la possibilité de retrouver leur dignité et leur autonomie, ces entreprises pionnières tracent la voie d'un modèle économique plus solidaire.
Le média de la transition
“À deux voix”, nos conversations à bâtons rompus sur l’actualité
Des interviews de personnalités remarquables (écrivains, entrepreneurs…)
Des articles sur le travail et l’économie
Une vision engagée, des clefs pour aller au fond des choses
Nos abonnés : des professionnels et citoyens engagés
Des nouvelles de nos travaux et de nos projets