✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
L’index de l’égalité professionnelle, ça vous parle ? Créé en 2018 sous l'impulsion de Muriel Pénicaud, l'index d'égalité professionnelle femmes-hommes avait une ambition louable : mesurer les écarts de rémunération dans les entreprises et les contraindre à progresser.
Mais cinq ans plus tard, le constat est plus que mitigé sur ledit index : il donne une bonne note à toutes les organisations, laissant penser qu’il ne reste plus rien à faire. Avec une note moyenne de 88,5/100 en 2025, on pourrait croire que l'égalité est presque atteinte. Pourtant, les inégalités persistent obstinément, avec un écart de rémunération réel de 22,2% tous critères confondus.
La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, vient d'annoncer une refonte complète de cet index pour 2027. Une décision qui arrive à point nommé, après les critiques de la Cour des comptes qui qualifiait en janvier dernier l'outil d' « index de façade dont la logique de résultats n'est pas probante ». De plus, puisque la France a jusqu'à mi-juin 2026 pour transposer la directive européenne sur la transparence salariale, c’est l’occasion de faire d’une pierre deux coups : refondre l’index et transposer la directive.
Un barème trop complaisant qui masque les inégalités
L'actuel index repose sur cinq indicateurs pour un total de 100 points : écarts de rémunération, écarts dans les augmentations, écarts dans les promotions, augmentations au retour de congé maternité, et présence des femmes parmi les plus hauts salaires. Un système qui donne l'illusion d'une quasi-égalité avec une note moyenne nationale de 88,5/100.
Mais c'est précisément là que se niche le problème : le barème a été conçu pour que presque toutes les entreprises obtiennent de bonnes notes. C'est comme un professeur qui élaborerait une évaluation permettant à tous ses élèves d'avoir entre 17 et 20/20 - cela ne permet en rien d'évaluer la qualité de son enseignement, ni de distinguer les bons des mauvais élèves.
Et puis, on assiste là à une parfaite illustration de la loi de Goodhart : « Quand une mesure devient un objectif, elle cesse d'être une bonne mesure. » Les entreprises ont appris à manipuler les critères sans régler les problèmes de fond. Il suffit par exemple de mettre en place une augmentation symbolique de quelques euros pour les femmes revenant de congé maternité pour obtenir les points correspondants, sans pour autant vraiment compenser les pénalités de carrière qu'elles subissent.
Ce que l'index ne mesure pas
L'un des angles morts les plus flagrants de l'index actuel concerne le temps partiel, majoritairement féminin. En neutralisant ce facteur dans ses calculs, l'index fait disparaître d'un trait de plume une des principales sources d'inégalité structurelle.
Autre défaillance majeure : l'index ne prend pas en compte le travail invisible et non rémunéré des femmes. Appelez-le charge mentale, travail domestique ou aidance familiale, cette réalité constitue pourtant le principal frein à l'égalité professionnelle. Comment progresser dans sa carrière quand on assure en moyenne 70% des tâches domestiques, qu'on s'occupe des enfants malades, des parents vieillissants, et qu'on gère la logistique familiale quotidienne?
Ce travail gratuit des femmes n'est pas un détail : il représente des heures hebdomadaires qui, si elles étaient rémunérées, représenteraient des sommes colossales. Il impacte directement les carrières, contraint aux temps partiels, limite la mobilité géographique et la disponibilité pour les postes à responsabilité. Un index qui prétend mesurer l'égalité sans prendre en compte cette réalité fondamentale passe complètement à côté du problème. Or, les employeurs peuvent faire beaucoup pour alléger cette charge mentale (comme proposer une crèche d’entreprise, par exemple, ou lutter contre la culture du présentéisme qui empêche les cadres d’être des parents présents pour leurs enfants).
D'autre part, l'index se concentre sur les hautes rémunérations, négligeant la majorité des femmes employées dans des secteurs moins valorisés et moins bien payés. Il ne questionne pas la sous-valorisation systémique des métiers féminisés (soins, éducation, services) par rapport aux secteurs masculinisés.
La double peine de l'âge et du genre
Un angle mort particulièrement criant de l'index actuel concerne l'intersection entre âge et genre. Les femmes de plus de 45 ans sont les grandes oubliées des politiques d'égalité professionnelle, alors qu'elles subissent une double discrimination dévastatrice.
La réalité est brutale : à partir de la quarantaine, les femmes font face à une falaise de verre. Elles sont disproportionnellement touchées par les plans de départs, moins formées, rarement promues, souvent placardisées, parfois harcelées pour les pousser vers la sortie. Ce phénomène s'amplifie encore après 50 ans, alors même que ces femmes font face à des vulnérabilités spécifiques : elles sont souvent prises en étau entre l'aide à des parents vieillissants et le soutien à des enfants pas encore autonomes.
Cette double peine âge-genre représente un gâchis économique et humain considérable. Ces femmes disposent d'une expérience précieuse, de compétences affinées par des années de pratique, et souvent d'une capacité de travail enfin libérée des contraintes familiales les plus lourdes.
Un index d'égalité digne de ce nom devrait absolument intégrer cette dimension âge-genre, en mesurant notamment le taux de départ des femmes après 45 ans comparé à celui des hommes, l'accès à la formation continue selon l'âge et le genre, ou encore la progression salariale des femmes seniors.
Ce à quoi un bon index pourrait ressembler
La directive européenne sur la transparence salariale, qui sera transposée en droit français d'ici juin 2026, impose déjà sept nouveaux critères qui promettent d'être plus précis. Ces indicateurs concerneront notamment les écarts de rémunération fixe, variable ou complémentaire, et la répartition genrée par quartile de rémunération.
Mais on pourrait aller encore plus loin pour créer un outil pertinent. Voici quelques propositions concrètes :
Intégrer le temps partiel comme indicateur clé, en mesurant la proportion de femmes contraintes à réduire leur temps de travail faute de solutions de garde d'enfants ou d'aménagements horaires adaptés.
Mesurer l'impact de la parentalité sur les carrières en comparant l'évolution professionnelle des femmes et des hommes avant/après l'arrivée d'enfants (la pénalité maternelle).
Évaluer les politiques d'aménagement du temps de travail des entreprises : télétravail, flexibilité horaire, crèches d'entreprise, congés pour enfants malades, congés aidants.
Intégrer un indicateur spécifique sur les femmes de plus de 45 ans : taux de formation, promotions, augmentations, maintien dans l'emploi comparé aux hommes du même âge.
Mesurer la valorisation des métiers féminisés au sein de l'entreprise par rapport aux métiers masculinisés à compétences équivalentes.
Sanctionner les entreprises défaillantes. Entre 2021 et 2024, seulement 120 pénalités ont été infligées, malgré plus de 30 000 interventions de l'inspection du travail sur l'égalité professionnelle.
Si l'index actuel a eu le mérite d'imposer le sujet de l'égalité salariale dans le débat public et dans les entreprises, il a échoué à produire des changements significatifs. Sa refonte représente d'aborder les vraies causes des inégalités. Cela implique de s'attaquer aux questions qui fâchent : le partage équitable des responsabilités familiales, la valorisation des métiers du care, la lutte contre les stéréotypes d'âge et de genre.
Le travail gratuit des femmes n'est pas une fatalité, c'est un choix de société. De même, la mise au rebut des femmes de plus de 45 ans n'est pas un phénomène naturel, mais le produit de préjugés tenaces qu'il faut combattre.
Pour plus d’égalité, il nous faudra changer complètement de regard sur le travail, sa valeur et son organisation. Et ça commence par des outils de mesure pertinents et sans complaisance, qui identifient les problèmes pour qu’on puisse mieux les résoudre.
En attendant 2027 et l'application du nouvel index, les entreprises feraient bien de s'y préparer dès maintenant. Car les femmes, elles, aimeraient bien ne plus avoir à attendre…
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