✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Après avoir exploré le succès du Pilates et l’avenir du travail, puis le retour du culte de la minceur comme instrument du backlash anti-féministe, je me suis rendue compte, grâce à une conversation avec mon fils de 13 ans, que j'avais négligé une partie essentielle de ce tableau du travail du corps contemporain : les nouvelles injonctions pesant sur le corps des hommes. Ces derniers ne sont pas épargnés par les tendances conservatrices contemporaines. Ils subissent une pression tout aussi violente qui les pousse vers un idéal caricatural et inatteignable.
La semaine dernière, j'ai lu à mon fils mon article sur le culte de la minceur et le backlash anti-féministe. Sa réaction fut immédiate : « Maman, cette pression frappe absolument aussi les garçons de ma génération. » Selon lui, si l'anorexie fait des ravages chez les filles, l'usage des stéroïdes fait des ravages chez les garçons. « Les influenceurs TikTok en utilisent de façon complètement assumée », m'a-t-il expliqué avec lucidité.
Les jeunes hommes sont de plus en plus ciblés par des contenus valorisant une virilité hyper-normée, fondée sur la musculation extrême, la « sèche » permanente, la productivité implacable et l'auto-contrôle émotionnel.
L'algorithme de la virilité toxique
Sur TikTok et Instagram, les figures masculines mises en avant incarnent un idéal très spécifique : corps bodybuildé, silence stoïque, rejet de toute vulnérabilité. Ces hommes ne parlent pas de leurs émotions, ne montrent jamais de faiblesse, et semblent n'exister que pour optimiser leur physique et leur productivité. L'algorithme amplifie ces contenus, créant des bulles où la masculinité se résume à des pectoraux saillants et à une discipline d'acier.
Le culte du grind – cette obsession du travail constant et de l'amélioration perpétuelle – se mélange avec celui de la testostérone et du corps sculpté. Les jeunes hommes sont bombardés de contenus sur les morning routines à 5h du matin (voire 4h du matin), les entraînements intensifs, les régimes hyperprotéinés et les suppléments en tout genre. Comme si le « travail » se résumait uniquement au travail du corps. (Mon fils m’a aussi dit, et c’est un tout petit rassurant, que beaucoup d’adolescents comme lui regardaient ces contenus en ne les prenant pas au premier degré mais en s’en moquant tant ils sont ridicules).
Stéroïdes et troubles alimentaires : la face cachée
Toujours est-il que la pression esthétique fait des dégâts. On observe une augmentation inquiétante de l'usage des stéroïdes anabolisants chez les jeunes hommes. Ces substances, souvent injectées, exposent leurs utilisateurs à des risques considérables : maladies cardio-vasculaires, hypertension, lésions du foie, accès de violence, acné, et tout un tas d’autres effets à long terme sur leur santé.
Au-delà de ça, c'est tout un spectre de troubles du comportement alimentaire qui touche désormais les hommes. L'anorexie masculine, la bigorexie (addiction au sport et obsession de la masse musculaire), les troubles liés à l'image corporelle explosent. Si 90% des personnes touchées par l'anorexie restent des femmes, les taux chez les hommes augmentent significativement.
Ces jeunes hommes développent une relation toxique à leur corps, passant des heures à analyser leur définition musculaire, à calculer leurs macronutriments, à optimiser leurs cycles d'entraînement. Ils s'enferment dans une quête de « gains » qui peut devenir obsessionnelle. Ils ne sentent jamais « assez » (musclés, forts, ou grands).
MAHA et l'esthétique comme morale
Cette tendance s'inscrit dans un contexte politique plus large. Le mouvement MAHA (Make America Healthy Again) porté par Robert F. Kennedy Jr. dans l'administration Trump illustre parfaitement cette confusion entre apparence physique et valeur morale. Derrière le discours sur la santé, se cache une esthétique très normée : être mince, musclé, discipliné devient un signe visible de réussite et de vertu. (Elle ne semble épargner que Trump lui-même qui ne coche aucune des cases de cette esthétique.)
Cette logique rejoint celle que j'évoquais concernant les femmes : minceur, conservatisme et discipline d'acier forment un triptyque où le contrôle du corps se mêle aux valeurs morales. Pour les hommes, cela se traduit par une injonction à la virilité caricaturale qui exclut de fait la majorité d'entre eux.
Le piège de l'individualisation
Lors de notre conversation, mon fils m'a aussi posé cette question : « Mais tout de même, c'est mieux de faire du sport et de ne pas être obèse. S'il y a des excès dans cette culture, est-ce que les bénéfices en termes de santé publique ne sont pas supérieurs ? » [avec ses mots à lui que j’ai du mal à retranscrire avec exactitude ;) ]
Bien sûr que l'activité physique et une alimentation équilibrée sont bénéfiques pour la santé. Mais quand ces pratiques deviennent obsessionnelles, quand elles consument l'énergie mentale et détournent l'attention d'autres enjeux, elles deviennent problématiques.
L'obsession corporelle, qu'elle touche les femmes ou les hommes, fonctionne comme un mécanisme de contrôle social. Le temps passé à ne penser qu’à son physique n'est pas consacré à des activités plus politiques ou créatives. Cela participe de la dépolitisation par l'individualisation.
ChatGPT et le travail du corps
Une hypothèse me traverse : est-ce parce qu'on ne travaille plus son cerveau, qu'on peut tout déléguer à ChatGPT, que le corps devient le dernier territoire d'expression de soi ? Quand l'IA peut rédiger nos mails, résoudre nos équations et même écrire nos dissertations, peut-être que sculpter son corps devient la dernière preuve tangible de notre valeur personnelle, de notre capacité à mobiliser efforts et discipline.
Est-ce pour cela que les jeunes se rabattent si massivement sur le « travail » du corps ? Est-ce parce que c'est le seul domaine où ils ont encore l'impression de contrôler quelque chose, d'être irremplaçables par une machine ?
Une question d’équilibre
In fine, tout est une question d'équilibre : entre corps et tête, entre privé et politique, entre individuel et collectif, entre féminin et masculin. Aujourd'hui, le curseur du « masculin » est poussé tellement loin vers une caricature de virilité que la plupart des hommes ne peuvent pas correspondre à cet idéal et en font les frais.
La masculinité toxique fait du mal aux garçons. Elle les enferme dans des injonctions impossibles à tenir, les coupe de leurs émotions, les pousse à ne plus s’aimer et à se battre contre leur corps. Elle produit de la souffrance chez tous les adolescents soumis à la peur de ne pas être « assez » virils et à la honte de ne pas correspondre au modèle dominant.
Cette conversation avec mon (génial) fils de 13 ans m'a rappelé une évidence : les tendances conservatrices contemporaines font du mal à tout le monde, hommes et femmes. Elles enferment chacun dans des rôles rigides qui nient la complexité humaine.
Pendant que nous nous épuisons à sculpter notre apparence selon des normes impossibles, les enjeux collectifs les plus importants (la protection de notre environnement, les espèces qui disparaissent, la lutte contre les inégalités) nous échappent…
À moins que cela soit parce qu’ils nous échappent que nous rabattons sur nos biceps ? 🤔🤔🤔
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Bonjour
Vous semblez considérer que cette injonction physique aux hommes est récente. Les hommes en font l expérience depuis plusieurs décennies. Comme celle d être performant sexuellement. Et il me semble discutable (réducteur) de l attribuer aux conservateurs de droite. J ajoute que vouloir maîtriser son corps et son alimentation n a rien de viriliste ou masculiniste. Chacun fait ce qu il veut. La volonté de certains militants de gommer cet choix au prétexte qu il gênerait ceux qui ne le font pas et serait agressé par l image de ces corps est tout aussi absurde et intolérant que de vouloir l imposer.
Entièrement d'accord avec vous et avec votre fils.