Pilates : 7 leçons sur l’avenir du travail
Nouveau Départ, Nouveau Travail #41 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Le Pilates cartonne. Difficile d’avoir des chiffres précis : n’importe quel club ou entraîneur peut se revendiquer de la méthode sans rien payer à personne. Mais les signes ne trompent pas. Dans les salles de sport, les créneaux de Pilates se multiplient tandis que le yoga plafonne voire régresse. Les studios de Reformer Pilates fleurissent un peu partout. Et quand Aldi a mis en vente ses machines de Pilates, les consommateurs se sont battus pour les acheter.
Inventée par l’Allemand Joseph Pilates dans les années 1920, cette discipline connaît aujourd’hui un succès fulgurant qui dépasse le simple phénomène sportif.
Nos pratiques sportives et le monde du travail évoluent de concert et révèlent souvent les mêmes dynamiques sociales, économiques ou culturelles.
En analysant ce que le Pilates dit de notre époque, je me suis amusée à tirer 7 leçons (plus ou moins positives) sur l’avenir du travail.
Leçon n°1 : Les fausses modes du travail
Dans le monde du sport comme dans celui du travail, les modes semblent se succéder à une vitesse folle. Depuis Jane Fonda et ses collants fluo, le fitness fonctionne à coups de saisons et de tendances. Dans les médias spécialisés en RH, on assiste au même phénomène : entreprise libérée, quête de sens, télétravail, semaine de quatre jours, skills-based organisation… chaque année son nouveau concept à la mode.
Mais loin des médias, les choses ne changent pas tant que ça. Dans le sport, ce qui compte, c’est de bouger (avec ou sans l’aide d’un bon coach). Yoga, Pilates ou autre, peu importe l’emballage tant qu’on a le renforcement musculaire et le cardio. Au travail, même chose : il ne s’agit pas de suivre la dernière tendance managériale, mais de créer les conditions durables d’un bon travail. Il n’y a pas de « collection automne-hiver 2025 » du management, sauf dans l’imagination des consultants.
Leçon n°2 : Apprendre à travailler avec des corps qui vieillissent
Le succès du Pilates s’explique aussi par une réalité démographique : la population vieillit. Et contrairement à d’autres disciplines sportives, le Pilates s’adapte à tous les corps, y compris les moins jeunes, les moins souples, les moins « performants ».
Joseph Pilates avait conçu sa méthode pour des malades alités. Elle est pensée pour la rééducation, l’équilibre, la durabilité. Pas d’exploits spectaculaires, pas (peu) de blessures. Une approche douce, mais redoutablement efficace.
Le monde du travail devrait s’en inspirer. On ne pourra pas travailler jusqu’à 67 ans ou plus dans des environnements conçus pour des corps jeunes, masculins et en bonne santé. Il faut revoir l’ergonomie, les rythmes, la définition même de la performance. Un bon travail est un travail qu’on peut faire longtemps sans se casser.
Leçon n°3 : Le retour des fondamentaux
Le Pilates, c’est l’anti-Instagram. Pas de postures impressionnantes, pas de mise en scène spirituelle, pas non plus de promesse de « corps de rêve » en 10 séances. On travaille les muscles profonds, on s’intéresse à son périnée, à son souffle. C’est discret, modeste, presque invisible.
Ce retour aux basiques dit quelque chose de notre époque. Avant de briller, on voudrait désormais pouvoir tenir. Avoir un logement décent. Gérer son travail et sa famille sans s’effondrer. Trouver un équilibre supportable.
Dans le travail aussi, on en revient toujours à l’essentiel : des horaires faisables, un salaire correct, du respect. Les baby-foot et les corbeilles de fruits font désormais sourire. Ce qu’on attend, c’est un job qui fasse le job. Sans chichi.
Leçon n°4 : Exit les gourous et les mantras
Dans le yoga, il y a tout un « package » de spiritualité, de rituels, de mantras, voire de quasi-religion. Le Pilates, lui, ne vend pas de spiritualité. Il n’est ni ésotérique ni mystique. Il est sobre, pragmatique, presque clinique.
De plus en plus de salarié·es ressentent cette même lassitude vis-à-vis des injonctions au bonheur au travail. Trop de discours édifiants, trop de séminaires où l’on chante ou pratique des activités aléatoires ensemble au lieu de parler salaires et conditions réelles de travail. Ce que l’on veut, ce n’est pas un sens imposé d’en haut, mais du respect, de la reconnaissance, du concret.
Leçon n°5 : Une non-mixité révélatrice
Le Pilates est l’un des sports les moins mixtes qui soient. Les salles sont remplies de femmes. Pourtant, la méthode est tout aussi bénéfique pour les hommes. Cette non-mixité n’est pas un hasard : elle révèle un monde du travail toujours profondément genré.
À une époque où le backlash trumpien contre la diversité et les femmes se répand, où les inégalités hommes-femmes persistent, où les métiers du soin restent féminins, où les horaires et les charges de travail ne tiennent pas compte des responsabilités familiales, le Pilates est, pour certaines femmes, une sorte de safe space.
Cette non-mixité révèle en tout cas des fractures profondes qu'il ne suffit pas d'ignorer. D'ailleurs, une influenceuse américaine a récemment créé la polémique en affirmant que le Pilates était « un outil (conservateur) du patriarcat », représentatif de l'ère Trump et du retour à la mode des corps très minces – le body positive, c'est fini. Une critique qui, bien que controversée, pointe du doigt les codes esthétiques restrictifs véhiculés par le Pilates.
Leçon n°6 : Le triomphe de l’individualisme
Le Pilates, c’est une pratique solitaire. On est là pour soi, dans sa bulle, concentrée sur son corps et sa respiration. On ne parle pas. On ne collabore pas. C’est l’image d’une époque où chacun se débrouille comme il peut, dans son coin.
Dans le travail aussi, les collectifs s’effilochent. Le développement personnel a remplacé l’action syndicale. On ne croit plus vraiment à l’organisation, encore moins au politique. On nous répète « prends soin de toi » là où il faudrait dire « prenons soin les un·es des autres ».
Réenchanter le collectif ne se décrète pas. Il ne suffit pas de coller le mot « ensemble » (ou le préfixe « co ») dans une présentation PowerPoint pour susciter l’entraide.
Leçon n°7 : Un monde à deux vitesses
Il y a Pilates et Pilates. Le « classique », que l’on peut faire sur un tapis chez soi. Et le Reformer Pilates, version luxe avec machine sophistiquée, studio design et coach star. Et ce n’est pas donné.
Le parallèle avec le travail saute aux yeux : entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui doivent pointer à heure fixe. Entre les bien logés et les navetteurs épuisés. Entre ceux qui ont la clim et ceux qui transpirent en silence.
Les inégalités sont partout, même sur les tapis de sport.
Un miroir de nos contradictions
Le Pilates est à la mode. Cette mode n’est pas anodine. Elle reflète nos espoirs et nos fatigues. Notre besoin d’efficacité sans violence. Notre envie de tenir sur la durée plutôt que de briller à court terme. Mais aussi nos faiblesses : plus d’individualisme, moins de collectif ; plus d’adaptabilité, mais aussi plus d’inégalités.
Que voudrait dire s’en inspirer au travail ? Non pas suivre une énième mode, mais cultiver l’essentiel : des environnements durables, inclusifs, sobres et respectueux des corps. Car que l’on soit sur un Reformer ou devant un écran, une chose est sûre : nous avons tous besoin d’un travail qui ne nous blesse pas.
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Je n'y crois pas non plus. Mais je pensais plutôt "causalité" : Pilates n'est pas une cause de l'individualisme. Mais un reflet, un symptôme, certainement.
Autre sujet connexe : l'individualisme est-il bien ou mal, chez Pilates ou en entreprise ? ;-)
C'est une approche originale et intéressante. Merci de votre travail et de votre regard. J'ai voulu partager l'article mais le lien ne marche pas. Bonne journée.