✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Il y a 30 ans, chaque immeuble avait sa petite armée d'adolescents baby-sitters. Aujourd'hui, elles (ils) ont quasiment disparu, remplacées par des applications de garde d'enfants et des professionnelles diplômées.
Mais ce (relatif) déclin du baby-sitting par les adolescents nous fait perdre quelque chose d'essentiel : une école de la vie géniale pour eux (et aussi pour les petits gardés). Et si on leur rendait cette occasion de développer leur autonomie ?
L'âge d'or du baby-sitting adolescent
Dans les années 80 et 90, être baby-sitter était presque un passage obligé pour les adolescents (surtout les filles, ici favorisées). À 13 ou 14 ans, on commençait par garder les enfants des voisins quelques heures, puis on développait sa « clientèle » dans le quartier. On apprenait la responsabilité et l'autonomie.
Entre 15 et 20 ans, j'ai fait des centaines et des centaines d'heures de baby-sitting, dans mon immeuble et mon quartier. J'ai appris à gérer des enfants turbulents, à rassurer des parents inquiets, à amuser des petits qui s'ennuyaient. Et j'avais plein de sous ! Je pouvais m'acheter ce que je voulais sans demander aux parents. J'allais beaucoup au cinéma, je m'achetais des livres, des cassettes vidéos, des vêtements... (ach, j'aurais dû aussi investir !).
Cette expérience m'a donné un sentiment d'autonomie et de liberté à un très jeune âge. J'ai appris à gagner de l'argent par mon travail, à mettre des annonces pour qu'on m'embauche — du mini-entrepreneuriat en somme. Et aussi, c'était génial de connaître d'autres familles, de voir comment vivaient les autres. C'était formateur à tous points de vue.
Les jeunes baby-sitters apprenaient sur le tas : comment calmer un enfant qui pleure, préparer un biberon, négocier l'heure du coucher avec un petit récalcitrant, gérer une urgence mineure. Ils découvraient la fierté d'être considérés comme suffisamment matures pour s'occuper d'autres êtres humains.
Parmi les petits boulots que l'on pouvait faire avant la majorité, le baby-sitting, c’était vraiment ce qu’il y avait de mieux. Une école de la débrouillardise, de la patience, du relationnel. Et de l’autonomie financière.
Pour les parents, c'était pratique et abordable. Pour les adolescents, c'était leur première expérience du travail. Et pour les enfants gardés, c'était souvent magique : leurs baby-sitters n'étaient ni leurs parents ni leurs enseignants, mais des grands frères et grandes sœurs de substitution qui savent être complices et abordables.
Pourquoi cette pratique a-t-elle presque disparu ?
Plusieurs facteurs expliquent l'effondrement du baby-sitting adolescent. (J’ai le sentiment que la forme de baby-sitting adolescent qui subsiste encore concerne principalement les membres de la famille élargie : les cousins plus âgés qui habitent le quartier, les adolescents de couples amis, etc).
D'abord, l'évolution de nos modes de vie urbains. Nous connaissons moins nos voisins qu'avant, les familles élargies sont plus éclatées géographiquement (coût du logement oblige), et la méfiance envers les « étrangers » s'est accrue. Faire confiance à l'adolescent d'en face pour garder ses enfants demande un niveau de connaissance et de confiance communautaire qui s'est érodé.
Ensuite, nos attentes en matière de garde d'enfants ont radicalement changé. Là où l'on acceptait autrefois qu'un adolescent surveille simplement les enfants, les parents d'aujourd'hui attendent souvent un programme éducatif : activités pédagogiques, apprentissage de langues, développement de compétences spécifiques. Cela a naturellement favorisé les professionnels.
Paradoxalement, nous avons aussi développé une défiance envers la capacité des adolescents à assumer des responsabilités. Alors qu'on pouvait faire confiance à des jeunes de 13 ans dans les années 80, certains parents aujourd'hui hésitent encore à laisser leurs propres adolescents de 14 ans seuls à la maison ! Cette déresponsabilisation prolongée les prive de nombreuses occasions d'apprendre l'autonomie.
Et puis, il y a un changement fiscal, structuré par le plan Borloo en 2005, il y a pile 20 ans. L'économie souterraine du baby-sitting en a été bouleversée. Autrefois, on payait sa baby-sitter en liquide, sans rien déclarer. C'était un arrangement informel qui convenait à tous : les ados gagnaient un peu d'argent de poche, les parents avaient un tarif bas.
La création des niches fiscales visant à faire sortir tous les services à la personne de l’économie informelle a tout changé. Les parents peuvent désormais engager des professionnelles plus chères sans que cela leur coûte plus, puisqu'une partie est remboursée par l'État. Cela a mécaniquement éliminé les adolescents du marché. (Attention, je ne dis pas que je suis pour l’économie souterraine et le travail non déclaré, au contraire ! Je dis seulement que cela a eu l’effet de priver beaucoup d’ados de leurs opportunités de baby-sitting).
Ce que nous perdons tous
Cette disparition du baby-sitting adolescent représente une perte pour toute la société. Pour les jeunes d'abord, qui se voient privés d'une expérience formatrice unique et de l’occasion de gagner des sous. Devoir convaincre des parents de nous faire confiance, c'est développer ses capacités de communication et sa crédibilité. Gérer des situations imprévues avec des enfants, c'est acquérir de la débrouillardise et de la maturité.
Ceux qui ont fait du baby-sitting en gardent souvent un bon souvenir. Ils décrivent l'apprentissage de la responsabilité, la fierté de l'autonomie financière, la satisfaction de voir reconnaître leurs compétences. Beaucoup y voient un tournant dans leur construction personnelle.
Pour les familles aussi, c'est une perte. Au-delà de l'aspect financier, les baby-sitters adolescents apportaient quelque chose de différent : une énergie juvénile, une complicité naturelle avec les enfants, des role models pour ces derniers et souvent une disponibilité que n'ont pas toujours les professionnels surbookés.
Le baby-sitting adolescent offrait des apprentissages qu'aucun cours ne peut remplacer. C'était une école de l'empathie : comprendre les besoins d'un enfant, adapter sa communication à son âge, le rassurer en cas de chagrin. C'était aussi une formation au leadership : savoir se faire respecter tout en restant bienveillant, fixer des limites avec fermeté mais sans agressivité.
Cette expérience développait l'esprit d'initiative. Pour fidéliser les parents, les adolescents inventaient des jeux, proposaient des activités, s'adaptaient aux personnalités de chaque enfant. Ils apprenaient l'art du relationnel client avant même de savoir que cela s'appelait ainsi.
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Et puis, il y avait cette leçon fondamentale : on peut avoir de l'impact sur la vie d'autrui, même jeune, même sans diplôme. Voir des enfants s'illuminer à son arrivée, entendre des parents exprimer leur reconnaissance, c'était une source de confiance en soi irremplaçable.
Les ados ont besoin qu’on leur fasse confiance
En tant que parents, revoyons nos attentes. Tous les moments de garde ne nécessitent pas un programme éducatif sophistiqué ! Parfois, il suffit que quelqu'un de responsable veille sur les enfants pendant que les parents sortent. Pour ces occasions, pourquoi ne pas faire confiance à un adolescent motivé ?
Au fond, la disparition du baby-sitting adolescent révèle un problème plus large : notre difficulté à faire confiance aux jeunes et à leur offrir des opportunités de grandir. Nous nous plaignons de leur manque de maturité, mais nous leur retirons les occasions de la développer.
Le baby-sitting était l'un des rares domaines où les adolescents pouvaient exercer une vraie responsabilité, avec de vrais enjeux. C'était leur première expérience du monde adulte, leur première contribution économique significative à leur propre vie.
En le supprimant, nous prolongeons artificiellement leur dépendance et retardons leur apprentissage de l'autonomie. Nous les privons aussi d'une source de revenus qui leur permettait d'accéder à une forme de liberté : acheter ce qu'ils veulent sans avoir à négocier avec leurs parents.
Nos adolescents ont besoin de se sentir utiles, de contribuer, de gagner leur place dans le monde. Le baby-sitting leur offre cette possibilité. Rendons la leur, pour leur bien et pour le nôtre.
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