✍️ Nouveau Départ, Nouveaux Défis analyse les transformations qui refaçonnent l’économie et la géopolitique. Face à la transition numérique, énergétique et démographique, ainsi qu’aux tensions mondiales, cette série éclaire les défis d’aujourd’hui et de demain. Entre tendances globales et impacts locaux, elle aide à mieux anticiper les ruptures et saisir les opportunités. L’objectif est de vous proposer des articles courts et percutants 💡
La semaine dernière, deux images radicalement opposées de la diplomatie mondiale se sont télescopées. À Pékin, Xi Jinping orchestrait une démonstration de puissance collective : revue d’une gigantesque parade militaire aux côtés de Vladimir Poutine et Kim Jong Un, précédée par le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai consolidant les liens entre régimes autoritaires, et accueil de Narendra Modi sous le slogan que « le dragon et l’éléphant doivent danser ensemble ». Pendant ce temps, Donald Trump disparaissait de la scène publique au point de susciter des rumeurs sur sa santé — avant de réapparaître pour publier, tel un enfant furieux isolé dans la cour de récréation, une série de diatribes rageuses sur son application Truth Social.
Cet écart révèle les leviers de la puissance à l’échelle géopolitique. Les conflits ne se décident pas par des prouesses militaires ponctuelles, mais par la puissance industrielle et la solidité des alliances.
Pour faire valoir l’importance de la production industrielle dans l’effort de guerre, l’analyste Yanmei Xie, spécialiste de la Chine, formule les choses ainsi : si des avocats et des comptables — métaphore d’une puissance centrée sur les services et la finance — se confrontent à des métallurgistes et des ingénieurs, ils ont toutes les chances de perdre. La guerre moderne se gagne dans les usines et les ateliers, où l’innovation rapide et la production constante permettent de soutenir l’effort militaire. La Chine l’a bien compris : elle concentre 32 % de la production manufacturière mondiale contre 15 % pour les États-Unis, un écart qui devrait atteindre 40 % contre 11 % d’ici 2030. Elle fabrique treize fois plus d’acier que Washington et deux cents fois plus de navires, un avantage structurel que les services ne peuvent compenser.
La puissance industrielle seule ne suffit pas. L’historien Phillips O’Brien, récemment interviewé par Paul Krugman, rappelle que les guerres mondiales ont été décidées non lors les batailles emblématiques de Stalingrad ou de Koursk, mais par la capacité des coalitions en présence à se mobiliser à grande échelle. L’Allemagne disposait des meilleures armées dans les deux conflits, mais ses alliés comme l’Autriche-Hongrie ou l’Italie étaient trop faibles pour soutenir l’effort commun. À l’inverse, le camp allié a triomphé par deux fois grâce à sa puissance industrielle démultipliée par des alliances solides. Rush Doshi transpose ce raisonnement à notre époque avec le concept d’« alliance à grande échelle » (allied scale) : seule, l’Amérique sera toujours dépassés par la Chine, mais avec ses partenaires, elle représente trois fois son PIB nominal et deux fois son PIB en parité de pouvoir d’achat. L’avantage stratégique américain réside dans la capacité à fédérer des alliances qui démultiplient les ressources.
La guerre en Ukraine illustre concrètement ces principes. La survie de Kiev ne dépend pas des gains territoriaux qui obsèdent les observateurs au quotidien, mais de l’approvisionnement en munitions, drones et systèmes électroniques fourni par ses alliés. Au passage, cette guerre montre également que la manufacture militaire a changé de nature : ce ne sont plus les tanks et les cuirassés qui font la différence, mais les drones simples et adaptables en quelques semaines, capables de surpasser des systèmes plus sophistiqués mais rigides. L’agilité industrielle devient l’arme décisive, et l’innovation rapide vaut davantage que la complexité technologique.
Or c’est précisément cette double force — puissance industrielle et alliances — que Donald Trump fragilise. Ses tarifs punitifs de 50 % contre l’Inde pour ses importations de pétrole russe ont rapproché Modi de Xi et Poutine. Quant aux attaques répétées de l’administration Trump contre l’Union européenne et le Japon, elles isolent les États-Unis de leurs bases industrielles hors Chine. Plutôt que de renforcer la compétitivité américaine, Trump prive son pays des ressources nécessaires pour rivaliser avec Pékin et détruit les coalitions qui constituent son principal levier stratégique.
Xi Jinping et Vladimir Poutine savent d’ailleurs mieux que personne que l’avantage américain repose avant tout sur ces alliances. En les affaiblissant, Trump accomplit leur travail à leur place. Ce basculement menace en premier lieu l’Ukraine, dont la résistance dépend de l’appui occidental, mais il annonce aussi un rééquilibrage global : si l’Inde et d’autres partenaires se rapprochent irréversiblement du camp sino-russe, l’« alliance à grande échelle » perdra son effet et l’avantage occidental disparaîtra.
Les leçons de l’histoire sont claires : ce sont les coalitions et la puissance industrielle qui déterminent l’issue des affrontements entre grandes puissances. L’Ukraine en offre une illustration concrète, tandis que la Chine en donne la mesure globale. Et pendant que Trump s’isole et se ridiculise sur les réseaux sociaux, Pékin et Moscou construisent méthodiquement les alliances et les capacités industrielles qui définiront l’équilibre mondial de demain. En négligeant cette évidence, Trump risque de livrer à ses adversaires une victoire stratégique qu’ils n’auraient jamais pu obtenir seuls.
📩 Pour toute demande d’intervention de Nicolas, notamment sur la géopolitique contemporaine, la puissance industrielle, les alliances internationales ou l’actualité stratégique, contactez-nous par email : conferences [a] cadrenoir.eu
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