✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
« Certains clients sont là avec leur portable, discutent, rigolent, font comme si on n’était pas là ! Ils ne nous regardent pas [...]. On a l’impression de ne pas exister… On n’est pourtant pas des machines ! ». Ce cri du cœur d’Amélie, hôtesse de caisse, n’est pas une fiction ; il est tiré d’une brochure de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’organisme de référence sur la santé au travail en France, pour illustrer concrètement la réalité des violences externes. Comme elle, des millions de travailleurs — livreurs, soignants, agents du service public, conducteurs de bus, vendeurs, serveurs, infirmières — sont les réceptacles quotidiens des « incivilités ».
Le mot incivilités semble quelque peu inoffensif — un peu comme les inconforts de la grossesse — alors que cela peut faire énormément de mal. On parle de violences, d’insultes, de mépris, d’impatience, de crachats, de menaces, voire d’agressions physiques. Derrière ce terme un peu flou se cache donc une réalité brutale qui ne cesse de s’aggraver. Alors qu’en France, une majorité de travailleurs sont en contact direct avec le public, ce phénomène n’est plus un simple « irritant » : il est en train de rendre leur travail de plus en plus pénible et de mettre en danger leur santé mentale et physique.
Une hausse généralisée et des chiffres alarmants
Les entreprises le constatent, les syndicats alertent et les travailleurs le vivent : la situation se dégrade depuis des années.
À La Poste révélait, de trop nombreux collaborateurs sont victimes d’incivilités au moins une fois par semaine (des milliers d’incidents chaque jour).
À la SNCF, les actes d’incivilités sont en hausse.
Dans les établissements de santé publics, les signalements d’atteintes aux biens et aux personnes augmentent.
Un rapport de France Travail a recensé 16 000 signalements d’agressions contre ses collaborateurs en 2023, soit une augmentation spectaculaire de 82% en 5 ans, un chiffre mis en lumière par la Fondation Travailler autrement.
Ce ne sont pas des actes isolés. Il s’agit d’une vague de fond qui touche tous les secteurs où il y a un contact humain : transports, banque, aérien, grande distribution, services publics. Chaque citoyen peut avoir sa propre définition de ce qui est incivil, mais pour les travailleurs, les conséquences sont graves : stress, anxiété, démotivation et un sentiment d’insécurité permanent.
Pourquoi une telle explosion de l’agressivité ?
Les causes sont multiples et s’entremêlent.
Premièrement, il y a souvent la dégradation des services eux-mêmes. Un temps d’attente important aux urgences, l’impossibilité de prendre rendez-vous chez le dentiste, des effectifs insuffisants à un guichet... Toutes ces défaillances organisationnelles créent de la frustration et de l’exaspération. Le client ou l’usager, insatisfait, reporte sa colère sur le pauvre représentant de l’institution qu’il a en face de lui.
Deuxièmement, le délitemement du lien social. Dans une société qui valorise l’efficacité et l’immédiateté, la patience s’effrite et la relation humaine peine à se construire. Une étude Ifop de 2025, citée par la Fondation Travailler autrement, révèle un sentiment partagé par une écrasante majorité de Français : 85% estiment que la société se dirige vers une indifférence généralisée et 84% anticipent un repli individualiste. Cet individualisme transforme chaque interaction en une potentielle source de conflit.
Troisièmement, l’impact des nouvelles technologies et de l’automatisation. La généralisation des chatbots et des serveurs vocaux a déshumanisé la relation client. Dans une newsletter Laetitia@Work, j’explique que les usagers accumulent une frustration immense face à ces systèmes. Le travail devient alors émotionnellement épuisant.
La rage vient d’une combinaison de facteurs : la déshumanisation, l’individualisme extrême, l’enfermement dans sa propre bulle, le manque d’agentivité et la déshumanisation des autres. Il est possible que l’utilisation croissante de l’IA dans le monde du travail aggrave ces problèmes, entraînant potentiellement plus de colère, tant chez les employés que chez les clients. Lorsqu’ils appellent des services automatisés, les gens sont souvent confrontés à de longues attentes, accompagnées d’une musique d’attente agaçante et d’un manque d’interaction humaine. Dans la plupart des cas, cette expérience les fait se sentir déshumanisés et insignifiants. Et lorsqu’ils parviennent enfin à joindre un employé humain (après une longue attente), certains déversent sur lui / elle toute la frustration accumulée. (traduction de Laetitia@Work).
Enfin, il y a des facteurs socio-économiques plus larges, qui jettent de l’huile sur le feu. Les inquiétudes liées aux réformes de l’assurance chômage ou l’augmentation des prix dans les supermarchés contribuent à une tension générale qui se répercute directement sur les travailleurs de première ligne.
Un coût désastreux
Les incivilités répétées, même celles considérées comme « banales », dégradent l’image de soi. Le stress et la peur peuvent mener à des troubles dépressifs, au burn-out, voire à un état de stress post-traumatique dans les cas les plus sévères. Le climat d’insécurité peut aussi pousser les salariés, à bout, à devenir eux-mêmes plus agressifs, créant un cercle vicieux de tensions.
Pour l’entreprise, le coût est tout aussi important. Il y a des coûts directs (arrêts de travail, remplacement du personnel, frais de justice) et des coûts indirects plus insidieux (baisse de productivité, dégradation du climat social, perte de cohésion d’équipe et nuisance à l’image de marque).
Quelles solutions face à cette violence ?
L’INRS propose plusieurs stratégies.
Prévenir en amont : La première étape est de supprimer les « éléments déclencheurs ». Cela passe par l’amélioration de l’organisation : simplifier les procédures, mieux gérer les files d’attente, informer clairement les usagers, et adapter les effectifs aux heures de pointe.
Protéger et dissuader : L’aménagement des espaces d’accueil joue un rôle clé (signalétique claire, zones de confidentialité, etc.). Des dispositifs comme les boutons d’alerte ou la présence d’agents de sécurité peuvent à la fois protéger les salariés et dissuader les agresseurs.
Former et soutenir les équipes : Il est important de former les salariés à la gestion des conflits, non pas pour leur faire porter la responsabilité, mais pour leur donner des outils pour désamorcer les tensions. Plus important encore, il faudrait le soutien indéfectible de la hiérarchie. Les salariés doivent se sentir écoutés, crus et accompagnés après une agression, sans honte ni culpabilisation. Une agression n’est pas un problème individuel mais un sujet collectif.
🎤 Si vous souhaitez inviter Laetitia à intervenir sur la relation avec les clients et la gestion des conflits impliquant vos équipes à leur contact, contactez-nous par email : conferences [a] cadrenoir.eu
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J'ai vécu hier une expérience inattendue dans un bureau de poste très central, dans une grande ville.
Deux "jeunes" hommes (-de 35) assuraient, sans le flegme désabusé habituel de ce lieu, un service impeccable, très pro. Ni hyper agités ni traînant la savatte : poliment efficaces sans en faire des tonnes.
Leur placidité se diffusait à toute la file (qui en général suit chaque interaction du client servi, vu qu'à la poste les employés travaillent dans l'espace autrefois réservé au public)
Quand ce fut mon tour, j'étais favorablement disposé, malgré la réclamation qui m'amenait à la Poste pour un énième colis non livré.
On ne le dit pas assez quand ça s'améliore.
J'y ai vu un travail de fond, pas juste d'excellents employés postaux.