Les jeunes et le travail : un amour déçu
Nouveau Départ, Nouveau Travail #30 | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
On a largement entendu dire que les jeunes de la génération Z ne voulaient plus travailler, qu'ils étaient volages, paresseux ou trop exigeants. Ce discours, aussi répandu que caricatural, déjà dénoncé par Salomé Saqué dans Sois jeune et tais toi est à nouveau mis à mal dans une étude publiée fin avril par l'Institut Montaigne. Menée auprès de 6 000 jeunes âgés de 16 à 30 ans, cette enquête brosse un portrait bien plus nuancé de leur rapport au travail, loin des stéréotypes véhiculés par les médias et les employeurs.
En 8 mots : le travail reste central, mais la déception est réelle
Contrairement à nombre d'idées reçues, les jeunes sont loin d’être réfractaires au travail. Ils manifestent un désir de s'investir professionnellement. Mais, entre l'idéal du travail et la réalité quotidienne, l'écart peut être considérable.
La preuve de cet attachement ? Lorsqu'on leur pose l'hypothèse de ne plus avoir besoin de travailler pour subvenir à leurs besoins, une écrasante majorité ne choisirait pas l'oisiveté : 38,5% déclarent qu'ils continueraient à exercer leur métier actuel, 40% qu'ils travailleraient toujours mais en changeant de voie, et seuls 21,5% affirment qu'ils cesseraient toute activité professionnelle.
Des attentes précises, pas des caprices
Loin d'être superficielles, les attentes des jeunes vis-à-vis du travail sont précises et cohérentes. La rémunération s'impose clairement comme le critère le plus déterminant, suivie par l'équilibre entre le temps de travail et le temps libre, l'absence de stress lié à l'emploi et les possibilités d'évolution professionnelle. La qualité des relations avec les collègues arrive juste après.
L'écart entre les attentes des jeunes et la réalité du travail s'avère un facteur déterminant de leur satisfaction professionnelle. [...] contrairement aux idées reçues, la satisfaction au travail ne dépend pas tant de la catégorie socioprofessionnelle de l'emploi, mais plutôt de la manière dont les jeunes vivent le décalage entre leurs aspirations et la réalité du terrain.
Les jeunes femmes ont mieux réussi à l’école : leur déception au travail est d’autant plus grande
Le rapport met également en lumière un paradoxe de genre. Les jeunes femmes se montrent globalement plus insatisfaites de leur orientation que les hommes, ressentant à la fois un manque de soutien familial et institutionnel. Elles déclarent recevoir moins d'aide de leur entourage, notamment de leurs professeurs, ce qui les pousse souvent à devoir se débrouiller seules pour s'informer et s'orienter.
Mais elles sont aussi moins susceptibles de transformer leur insatisfaction en revendications, prisonnières d'un système qui, paradoxalement, les expose davantage au harcèlement tout en limitant leur capacité à s'y opposer.
La distribution genrée des emplois éclaire en partie ce paradoxe. Les femmes travaillent majoritairement dans les services (83 % d’entre elles sont dans le commerce, la santé, l’action sociale, l’enseignement, etc.). Or, à l’exception de l’administration et de l’enseignement, ces secteurs sont peu porteurs d’une culture revendicative. Les luttes sociales sont historiquement ancrées dans l’industrie, aujourd’hui en déclin, où les jeunes hommes revoient leurs attentes à la baisse. Les jeunes femmes, elles, évoluent dans des environnements où les structures de mobilisation restent faibles, limitant leurs moyens d’action.
Les maux du travail des jeunes : stress, harcèlement, précarité
Le stress occupe une place centrale dans l'évaluation des conditions de travail. Ce mal silencieux, insidieux, dépasse de loin les risques physiques, comme l'ont déjà souligné de nombreuses recherches sur les risques psychosociaux. Et les jeunes le ressentent massivement.
Un tiers des jeunes déclarent avoir été victimes de harcèlement moral durant leurs études et 11% de harcèlement sexuel. [...] Dans le monde du travail, ces violences sont également présentes : 27% des jeunes déclarent avoir subi du harcèlement moral en entreprise et 9% du harcèlement sexuel.
Et puis, il y a la précarité. Entre baisse des salaires d'entrée, moindre qualité des emplois proposés (plus précaires plus longtemps), allongement de la durée des études et prix exorbitant du logement, les jeunes restent dépendants plus longtemps. Cette situation explique pourquoi, même face à un CDI, certains jeunes hésitent : un salaire d'enseignant (même légèrement amélioré) ne permet pas de se loger dans de bonnes conditions en ville mais exige par contre des sacrifices de liberté importants. Il faut endurer des conditions de travail dégradées pour des contreparties qui ne permettent pas vraiment de vivre dignement. Alors, à quoi bon ?
La rémunération ne suffit plus : le sens en question
Si le salaire reste la première préoccupation des jeunes travailleurs, il n'est plus la seule. La satisfaction de l'emploi occupé apparaît comme le facteur le plus fortement et positivement associé à la satisfaction de vie, même en tenant compte des facteurs de frustration liés à la rémunération, au contenu du travail et à la reconnaissance.
Le rapport de l'Institut Montaigne identifie plusieurs profils de jeunes travailleurs, dont les frustrés (28%), qui se distinguent en frustrés « contestataires » et frustrés « démotivés ». Ce groupe se caractérise par des attentes non satisfaites à l'égard de l'emploi occupé, ce qui entraîne une défiance et une détresse psychologique pour les uns, et une profonde désaffection du monde du travail pour les autres.
Parmi les facteurs déterminants figurent le manque d’opportunités de télétravail, la faible rémunération, une faible autonomie dans la gestion des horaires, ainsi que des perspectives de carrière limitées. Près d’un tiers des jeunes considère par ailleurs que leur entreprise ne s’investit pas suffisamment dans la qualité de vie au travail.
L'orientation, clé d'un parcours réussi
L’insatisfaction quant à l’orientation scolaire et professionnelle tend à s'accentuer avec l'entrée sur le marché du travail. Elle n'est pas anodine puisqu'elle structure durablement le rapport au travail et est corrélée à la satisfaction de la vie. S’il n’y a pas d’âge pour s’orienter (il n’est jamais trop tard pour bifurquer), une déception précoce laisse néanmoins des traces durables…
Conclusion
En somme, le marché du travail français malmène à la fois ses jeunes et ses seniors. Les premiers peinent à s’insérer malgré leur engagement, les seconds voient leur expérience dévalorisée avec l’âge. Résultat : une entrée tardive, une sortie précoce, et entre les deux, une intensité de travail souvent difficilement soutenable. Dans un pays où l’on ne valorise ni les débuts ni les fins de carrière, et où la précarité tient souvent lieu de perspective, l’amour déçu des jeunes nous rappelle l’urgence de repenser en profondeur la manière dont nous valorisons le travail.
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